Avènement du projet libéral: une double trahison?
La “gauche” et la “droite”, deux courants antagonistes?
Le vingtième siècle nous aura donné d’observer sur la scène politique deux camps que prétendument tout opposait :
D’un côté “la droite”, qui appelle sans cesse à libérer les forces de marché, et à faire disparaître toute contrainte au commerce. Si pour séduire l’électorat conservateur, elle prétend défendre notre héritage historique, elle abandonne petit à petit toute contrainte morale afin de pouvoir laisser cours à toute les opportunités capitalistes.
De l’autre “la gauche”, qui place le progressisme ou le libéralisme sociétal au sommet de ses priorités, et prétend défendre les intérêts des classes sociales populaires. Les épisodes des gilets jaunes, le quinquennat de François Hollande nous renvoient sans cesse à 1983, l’armée de la gauche se recentre sur son projet hérité de 1789, le libéralisme, au détriment du combat socialiste.
Le libéralisme économique de droite, et le libéralisme sociétal de gauche procèdent donc d’une même volonté. Ils consistent l’un et l’autre à considérer toutes les limites imposées par l’Etat comme une entrave à la liberté des individus, et donc l’abolition de ces contraintes comme un vecteur d’émancipation.
La fusion du libéralisme économique et du libéralisme sociétal
Nous avons hérité de nos traditions religieuses un certain nombre de principes, dont par exemple l’interdiction de travailler le dimanche ou la pénalisation de la prostitution. La retranscription de ces limites en droit français constitue indéniablement une entrave à la liberté de commercer, et en même temps de pouvoir disposer de son corps librement. C’est en cela que le libéralisme économique et le libéralisme sociétal sont consubstantiels, et c’est la raison pour laquelle la “gauche” et la “droite” se rejoignent naturellement dans un projet politique qui consiste à abolir ces limites.
Comment s’ étonner dans ces conditions de voir ces deux blocs soi-disant antagonistes se rejoindre et fusionner en un seul corps, le corps de la République en Marche, qui uni libéralisme sociétale, et libéralisme économique.
Un objectif commun: la subrogation de la morale par le droit
Nous avons vu que la morale et le libéralisme ne font pas “bon ménage”. Il est donc assez logique de constater que concomitamment à l’avènement du libéralisme, la morale aura peu à peu été subrogée par le droit comme seule limite aux interactions sociales et économiques.
Ceci étant exposé, il est aisé de comprendre pourquoi le lobbying auprès du parlement constitue le combat majeur des organisations capitalistes, et pourquoi ce qui était caractérisé comme du trafic d’influence à l’Assemblée Nationale, peut désormais s’accomplir, grâce au “progrès”, en toute légalité au Parlement Européen.
La direction prise apparait clairement : abroger tous les reliquats de la morale, afin d’accroître le champs des possibilités commerciales.
Le libéralisme est il vecteur de cohésion et de liberté?
Rappelons que le libéralisme fonde ses origines sur des revendications telles que la liberté, l’isonomie (ou égalité civique et politique), la sécurité, ou le droit de propriété. On attribut d’ailleurs à un certain nombre de penseurs célèbres la thèse selon laquelle le commerce “adoucit les mœurs” :
Si l’objectif originel du libéralisme, qui consistait à imaginer que la société du consentement mutuel, où tout est permis dès lors que toutes les parties sont consentantes, permettrait de tempérer les pulsions violentes de l’homme (l’état de nature, qui selon Thomas Hobbes peut se traduire par l’état de guerre de chacun contre chacun), qu’en est il réellement? L’essor du libéralisme a t-il constitué un remède définitif contre la violence?
Plus concrètement, si la faculté d’acheter du tabac, un enfant, ou bien de faire livreur avec un statut d’entrepreneur (avec pour conséquence d’offrir ses cotisations retraite à des firmes américaines) appartiennent aux conquêtes du libéralisme, quel est le prix qui en découle ?
Nous savons que la liberté d’un individu peut se définir comme l’état d’une personne qui n'est pas soumise à une ou des contraintes externes. Concernant la libéralisation du commerce du tabac, le consommateur est-il bien libre d’en consommer, compte tenu d’une part du caractère addictif de cette substance, et d’autre part de l’effet inaltérable des campagnes de marketing ?
En ce qui concerne la grossesse pour autrui, le statut de livreur entrepreneur, ou le travail dominical, une analyse sociologique des bénéficiaires de ces nouvelles libertés, et de ceux qui en subissent les désagrément apporte un éclairage saisissant. Il apparait clairement que les bénéficiaires de ces nouveaux services appartiennent aux classes aisées voir privilégiées, et que les nouveaux prestataires de service appartiennent majoritairement aux classes défavorisées.
Il est dès lors légitime de considérer les inégalités comme un obstacle incontestable aux théories libérales, puisque en l’absence de phénomènes de régulation, la misère de certains pourra être exploitée par d’autres, sans tenir compte des contraintes voir des souffrances infligées.
L’absence d’une autorité centrale est donc certainement un vecteur de création d’inégalités, avec l’impossibilité de régir les rapports de force et de les rééquilibrer. Les déséquilibres atteignent aujourd’hui d’ailleurs leur paroxysme, quand des oligarques en viennent à détenir individuellement plus de richesses que des pays voir des continents entiers.
Le pouvoir des nations, en tant que mise en commun des moyens entre les individus, se délite. Les défenseurs du peuple sont taxés de “populistes”, et un pouvoir supranational s’institue peu à peu de manière subreptice, sans aucune forme de consentement du peuple, et sans aucun acte constitutionnel indispensable à tout fonctionnement démocratique.
En conclusion
L’avènement du projet libéral, incarné présentement à l’extrême centre par la République en Marche, peut donc être défini comme le mariage des capitalistes et des progressistes, qui auront laissé de côté conservatisme et socialisme. Cette nouvelle osmose pourra dès lors être interprétée comme une spectaculaire trahison aux dépens de deux franges de l’électorat: les conservateurs et les tenant d’une politique économique sociale.**
Par ailleurs, les promesses du libéralisme semblent compromises car, en l’absence de phénomènes de régulation, la suppression des limitations au commerce ne peut que se traduire par une amplification des violences infligées par les possédants à l’encontre des “possédés”.
Notes:
*Le lecteur avisé aura saisi qu’il ne s’agit pas ici d’évaluer si Jean-Claude Michéa est favorable ou pas à la légalisation du cannabis, ou de connaitre son avis sur toute autre question “progressiste” (nous conviendrons que cela n’aurait que peu d’intérêt), mais plutôt de comprendre l’origine de la disparition “du mouvement ouvrier socialiste en tant que force politique indépendante, porteuse d’un projet philosophique spécifique et agissant à l’écart des clivages idéologiques traditionnels” - Le Complexe d’Orphée, Jean Claude Michéa, 2014
**C’est ce constat qui peut nous amener à considérer logiquement les conservateurs et les socialistes authentiques comme des alliés objectifs, et comme une force d’opposition potentielle à l’émergence des contingents libéraux. Une récente illustration en est d’ailleurs la surprenante alliance entre le mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord de Salvini en Italie.