Stéphanie Guyot est “Slasheuse”, ou la revanche d’Hippolyte
“Qui veut gagner sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera” annonce l’évangile.
Mais Stéphanie* n’en a cure… Pourquoi s’embarrasser de percepts anciens, quand le progrès nous offre la possibilité d’assouvir inlassablement nos pulsions morbides?
Un sujet de premier plan pour les médias, qui n’auront pas tardé à trouver en elle leur nouvelle égérie.
Ainsi, on nous présente en modèle la kyrielle des tâches journalières de la “Slasheuse” : conseiller des startuppers / organiser une conférence / gérer sa société / organiser un entraînement de rugby / aller chercher ses enfants à l’école, etc.
Pour être un bon “Slasheur”, il faut donc pouvoir intercaler un nombre invraisemblable de tâches dans une journée, et par dessus tout interposer un “slash” entre chacune…
La liste des travaux est longue, Hercule lui-même a de quoi rougir. Nettoyer les écuries d’Augias, tuer l’Hydre de Lerne, capturer la biche de Cérynie, ou encore aller quérir la ceinture d’Hippolyte, fille d’Arès et reine des Amazones, tout cela est devenu “has been”. En guise de référence, oublions donc les figures bibliques, voir même les demi-dieux de la Grèce antique, c’est dans un nouveau panthéon qu’il faudra pouvoir puiser:
Bruno :
“Que fais tu dans la vie, Stéphanie ?”
(Question courante dans la société contemporaine où chacun se définit par sa fonction, avant de se définir en temps qu’individu).
Stéphanie :
“Je suis Slasheuse.”
(pourra répondre d’un ton dédaigneux cette nouvelle Hippolyte impérieuse).
Bruno :
“C’est quoi Se lacheuse ?”
(compatissons un instant, avoir à en expliquer sans cesse les fondements, jusqu’à en subir le tourment).
Stéphanie :
“Ca veut dire que j’exerce plusieurs activités et plusieurs fonctions en même temps, et comme ce n’est pas suffisant, je fais l’apologie (sur mon temps libre) de ce mode de vie dans les médias. Et toi, que fais tu Bruno?”
(Que répondre face à une telle créature, mi femme, mi dieu?)
Bruno :
“je cherche du travail” …
Depuis les tréfonds de l’Hadès, les esclaves des temps jadis contemplent nos fiers héros et s’exclament :
"Cumuler trois emplois, une famille et des loisirs! Nulle autre perspective qu’un travail mal accompli, une famille désunie, et une espérance de vie amoindrie…”,
protestera le premier.
“Ironie du sort que d’un élan agnostique, une destinée héroïque se mue ainsi en une vie monastique'',
clamera le deuxième (pour autant qu’il fut homme de lettre).
Verdict cruel pour nos héros à la mode, plus accoutumés à la flatterie qu’à la raillerie…
Afin de mieux comprendre la morgue émanant ainsi du royaume des morts, rappelons que dans la société antique, c’est le courant de l’essentialisme qui prédomine. L’essence d’une chose précède son existence. Si chacun dispose du libre arbitre, il reste inévitablement assujetti à un certain nombre de déterminismes. Nul besoin donc de collectionner les médailles, l’homme se définit par sa pensée et sa conscience, et nullement par ses exploits.
Or, nous assistons chez les modernes à un renversement, caractérisé par la fameuse déclaration de Sartre: “l’existence précède l’essence”. L’homme est responsable de l’ensemble de ses choix. Ainsi, pas de Dieu(x) pour régir l’univers et concevoir l’humanité, l’être se définit par ses actions et la maîtrise de son destin.
Ainsi face à cette interversion, comment s’étonner de voir les plus valeureux d’entre nous courir après les titres de gloire, jusqu’à en perdre haleine…
Ainsi se résume cette histoire, Hippolyte réincarnée aura renversé le vieux Hercule, et avec lui, une vision du monde plus accommodante où l’essence est plus déterminante que la performance.
* Note: les noms et prénoms ont été modifiés afin de préserver l'anonymat des personnes citées.